Ethique

Le contexte dans lequel est prise une image fait partie intégrante de cette image.

Nous avons chacun une vision et une pratique propre de la photographie animalière. C’est à la base un domaine assez large, incluant aussi bien la photo d’animaux sauvages que d’animaux en cage ou domestiques. Si on se limite aux animaux sauvages, ceux-ci peuvent être photographiés de différentes façons, chacune impliquant des difficultés et des démarches différentes, parfois discutables. Ainsi, dans cette page, en complément des éléments que j’apporte dans la partie technique, je voudrais définir ma vision et ma pratique de la photographie animalière.

Tout d’abord, toutes mes photos concernent des oiseaux libres, sauvages et en bonne santé.

Les canards colverts sont souvent à moitié domestiqués et n’ont plus de crainte de l’homme. Ce couple, en plein travail, concerne des oiseaux sauvages et craintifs, discrètement photographiés depuis un observatoire. Ce qui me plait, c’est justement de tromper la vigilance des oiseaux.

Une question qui revient souvent est le dérangement du sujet. Alors est-ce que je dérange mes sujets pour les prendre en photo? En bien la plupart du temps, oui, au moins un peu. Le photographe qui dira non sera un gros menteur ! Pas besoin de faire de la photo pour déranger des animaux. Il suffit de sortir de chez soi, de se promener dans la nature, la palme revenant aux ingénieurs de chez Orange, dont le moindre coup de fusil stresse tous les animaux à 1 km à la ronde pour la journée, qu’il s’agisse d’animaux chassables ou protégés… Enfin ça c’est mon point de vue, car des chasseurs m’ont déjà reproché de déranger des cerfs en essayant de les photographier !

Il faut aussi signaler que les animaux se dérangent entre eux sans arrêt. Enfin, le dérangement fait partie de l’apprentissage. La première fois que j’ai essayé de m’approcher d’une Pie-grièche écorcheur, je l’ai faite partir. Cela m’a permis de savoir qu’une Pie-grièche ne s’approchait pas à moins de 40 mètres, et qu’il fallait s’y prendre autrement. Mais alors ou est la limite du dérangement? Que peut-on faire et ne pas faire ???

Pour moi, le premier point important est de ne pas déranger intentionnellement un animal. Par exemple, ne pas faire envoler volontairement son sujet pour le photographier au décollage.

Cette aigrette garzette s’envole pour essayer d’attraper un poisson qu’elle a repéré quelques mètres plus loin. C’est toujours mieux de ne pas être à l’origine du décollage du sujet…
Un autre point important est de faire en sorte que, en cas de dérangement, celui-ci au pire ne nuira pas de façon significative à la reproduction ou la survie du sujet. Pour évaluer ce point, il faut absolument connaître l’écologie et le comportement de son sujet, ce qui s’apprend dans des livres mais également en observant les animaux. Il faut savoir renoncer et abandonner la partie lorsqu’on n’arrive pas à se faire accepter par l’oiseau que l’on tente de photographier. Par exemple, il est souvent tentant d’essayer de photographier un oiseau près de son nid, car celui-ci va forcément y venir régulièrement pour ravitailler ses oisillons, avec des perchoirs prévisibles. Il faut alors bien se camoufler et veiller à ce que les parents ravitaillent leur progéniture même s’ils sont intrigués par notre présence. L’observation depuis son affût, combinée à une observation préalable effectuée de plus loin avec ses jumelles, permet de se rendre compte de l’impact qu’implique notre présence sur le comportement des oiseaux. Si les parents ne nous acceptent pas au bout de quelques dizaines de minutes, il faut abandonner la partie.
Cette Pie-grièche écorcheur avait l’habitude de se poser sur cette ronce avant de plonger dans son nid. Une fois mon affût en place près de cette ronce, l’oiseau est venu une fois quelques secondes pour m’observer, puis par la suite, je le l’ai jamais revue même après 4 heures sur place ! Heureusement, j’entendais que les oisillons étaient toujours ravitaillés dans le nid à bonne fréquence, mais je ne voyais plus les adultes qui avaient trouvés la solution en passant par l’autre côté du roncier pour rejoindre le nid. Dès que je suis parti, à peine arrivé au chemin 100 mètres plus loin, le mâle était déjà posé à nouveau sur sa ronce fétiche ! La Pie-grièche est une championne pour jouer avec nos nerfs…
Chez cet autre couple de pie-grièches, que je photographiais depuis la voiture, le mâle ne supportait pas la présence de mon Express devant le roncier, alors que la femelle ravitaillait les oisillons comme si je n’étais pas là. Encore un mâle qui ne jure que par la qualité allemande, et à qui il faut minimum de l’Audi ! Du coup, lorsque le mâle arrivait avec une proie, il se perchait sur un arbre un peu plus loin et appelait la femelle qui récupérait la proie du mâle pour l’amener de suite au nid ! Pour ce couple, j’ai réduit la durée des séances d’affût pour ne pas trop stresser Monsieur. Les jeunes ont fini par sortir du nid en pleine forme.
Ensuite, comme je le disais plus haut, il y a différences façons de pratiquer la photographie animalière. Moi j’ai opté pour la façon la plus “naturelle”. Je ne nourris pas les oiseaux pour les attirer vers moi, j’essaie plutôt de les photographier chez eux, là où ils ont choisi d’être sans mon intervention. On voit souvent des belles photos de buses en train de se battre sous une ambiance de neige et de gel. Les photos sont bien sur magnifiques, mais il faut savoir que derrière, il y a un photographe qui a attendu la période la plus froide de l’hiver, là ou les oiseaux ont du mal à trouver à manger, pour attirer des buses qui vont venir se bagarrer et parfois se blesser pour un bout de viande judicieusement placé. Moi je n’aime pas ces pratiques, elles manquent de naturel ne sont pas forcément sans conséquences pour le ou les sujets, même si elles peuvent certainement les aider à passer l’hiver.
Cette buse, qui semble venir droit sur moi pour un petit encas, est juste en train de se déplacer pour chercher des vers de terre un peu plus loin. Ces oiseaux se rassemblent de temps en temps en hiver pour chasser les lombrics, et d’après mon expérience, c’est la seule situation ou la Buse variable tolère la présence d’un humain discret à moins de 200 mètres. Je n’ai jamais pu obtenir la proximité espérée avec cet oiseau, mais je m’en satisfait, ou plutôt j’essaie, car il y a toujours une part de frustration dans la photo animalière !
Dans la même lignée, je n’utilise pas de perchoirs ou de décors artificiels mis en place spécialement pour attirer le sujet et faire une photo là ou on l’a choisie. Cette méthode est par exemple beaucoup utilisée pour le Martin pêcheur, et concerne environ…. 99% des photos qu’il existe de cet oiseau. La méthode est simple, repérez un endroit où un Martin pêcheur aime bien traîner, plantez lui un joli perchoir au dessus de l’eau avec un joli bout de bois couvert de lichen ou de mousse pour le côté esthétique, et il y a de fortes chances qu’il adopte ce joli perchoir pour guetter l’ablette. Vous maximiserez vos chances si vous coupez ses autres perchoirs habituels à proximité, vous savez, ceux qui sont trop loin, où pas assez dégagés des roseaux pour faire une belle photo…
Petite entorse à la règle, ce Martin pêcheur a été photographié sur une branche de noisetier que j’ai plantée moi même au dessus de l’eau, sur son passage et devant un petit observatoire aménagé. J’ai été influencé par un copain qui se reconnaîtra… Ce perchoir a très bien fonctionné et le Martin-pêcheur à mis moins de 30 minutes pour venir l’essayer une première fois. Pour la petite histoire, cette branche de noisetier s’est bien plue à cet endroit et a commencé à faire des feuilles et des bourgeons. Puis quelques temps après, l’observatoire a été vandalisé et il a été arraché. Les visiteurs ont laissé une signature odorante sur le sol de l’observatoire, je pense que vous n’avez pas besoin de voir une photo…

Je n’utilise pas non plus de ruses comme l’imitation ou la repasse pour attirer ou faire réagir des oiseaux, techniques très utilisées et même indispensables pour certaine espèces, comme par exemple la Chevêchette d’Europe, la Gélinotte des bois, le Râle des genêts, la Panure à Moustache etc… Ceci stress les oiseaux et modifie leur comportement, car ils sont persuadés qu’un intrus traverse leur territoire alors que ce n’est pas le cas. Pour les recensements et les études de populations, la repasse est nécessaire, mais pour faire des photos, c’est plus discutable, surtout lorsque c’est utilisé à fortes doses !

De plus, je n’ai jamais payé pour avoir le droit d’accéder à un affût aménagé comme par exemple en Baie de Somme où encore chez le célèbre Bence Mate en Hongrie, où pour une petite fortune on vous garantit de photographier au moins 30 espèces différentes en 6 jours dans de jolis décors fabriqués… Je préfère galérer dans mon coin et faire très peu de photos, et je ne veux pas qu’une partie du travail photographique soit faite pour moi moyennant quelques euros. Mais j’avoue que je profite de temps en temps d’une petite info intéressante de J-R où de Jeannot (entre-autres) pour trouver plus facilement un petit plan photo.

Cette petite Chevêche d’Athéna a été trouvée par hasard par Bertrand, un copain photographe du coin, et je n’ai pas hésité à profiter de cette information ! Comparé à la difficulté de trouver un tel oiseau, les heures d’affût qui en découlent devant un trou de pommier sans savoir si la chouette est dedans et si elle va finir par se montrer restent presque un jeu d’enfant.

Pour finir, il faut quand même parler d’un truc important, les retouches sur les photos ! Il faut savoir que dans les concours, on a le droit de faire à peu près tout ce que l’on veut, bidouilles de couleurs, d’ambiance. Il faut juste ne pas effacer un élément de la photo. Personnellement, je n’efface pas d’éléments sur les images. Mes retouches sont limitées, je corrige des défauts d’exposition qui sont courants, des balances de couleurs souvent mal évaluées par les appareils photo. Mon but est de retrouver des couleurs naturelles du moment. Parfois, je pousse un peu le curseur pour accentuer une petite ambiance, mais pas plus qu’un peu…

Voilà, donc en résumé, eh bien ce n’est pas facile de faire des belles images quand on essaie de maintenir un maximum de naturel aux scènes de vie que l’on photographie. Mais à la sortie, les photos n’ont pas la même valeur. Quand vous voyez une magnifique photo de Balbuzard pêcheur sortant de l’eau avec un poisson dans les serres, si c’est le photographe qui a placé le poisson déjà mort au bon endroit, alors l’image a peu de valeur à mes yeux même si elle peut être très belle. Mais si la scène est naturelle alors c’est une photo exceptionnelle. Le contexte dans lequel est prise une image fait partie intégrante de cette image, et trop souvent celle-ci est présentée sans ce contexte, surtout dans les concours, ce qui est bien dommage.